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C.Baudelaire

"C'est qui lui ?!"

Lui c'est, Charles Baudelaire (1821-1867), le poète des Fleurs du Mal, mais aussi le traducteur d’Edgar Poe. De plus il est l’un des plus grands critiques d’art français de son siècle. Il tient de son père une véritable passion pour la peinture, et publie en 1845 un premier compte-rendu du Salon. Le Salon de 1846, celui de 1859 et Le Peintre de la vie moderne (1863) sont ses œuvres critiques les plus importantes. Publiées dans de petites revues, elles sont peu lues de son vivant ; mais Baudelaire y construit une esthétique qui nourrit son œuvre poétique.

Des années 40 aux années 60, l’art voit s’affronter des courants très divers. La peinture néo-classique et académique, celle des héritiers d’ Ingres, tient une grande place dans le goût du public.
Mais l’histoire de l’art a surtout retenu trois noms : Delacroix, le romantique, que Baudelaire tient pour le plus grand peintre vivant ; Courbet, le réaliste qui ne se reconnait guère mieux sous cette étiquette que Delacroix sous la sienne ; Manet enfin, considéré comme le père de l’impressionnisme, et qui se veut d’abord l’incarnation du peintre de la vie moderne.
C’est dans ce paysage qu’il faut se placer pour comprendre la critique baudelairienne. 

"Mais, c'est quoi son rapport avec les artistes? "

Comme on peut le voir dans un grand nombre de ses poèmes, Baudelaire entretient une relation particulière avec le monde de l'art. Il en parle beaucoup dans ses poèmes...

Les phares

 

Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse,
Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer,
Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse,
Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer ;

Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,
Où des anges charmants, avec un doux souris
Tout chargé de mystère, apparaissent à l'ombre
Des glaciers et des pins qui ferment leur pays,

Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures,
Et d'un grand crucifix décoré seulement,
Où la prière en pleurs s'exhale des ordures,
Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement ;

Michel-Ange, lieu vague où l'on voit des Hercules
Se mêler à des Christs, et se lever tout droits
Des fantômes puissants qui dans les crépuscules
Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts ;

Colères de boxeur, impudences de faune,
Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,
Grand coeur gonflé d'orgueil, homme débile et jaune,
Puget, mélancolique empereur des forçats,

Watteau, ce carnaval où bien des coeurs illustres,
Comme des papillons, errent en flamboyant,
Décors frais et légers éclairés par des lustres
Qui versent la folie à ce bal tournoyant ;

Goya, cauchemar plein de choses inconnues,
De foetus qu'on fait cuire au milieu des sabbats,
De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues,
Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ;

Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges,
Ombragé par un bois de sapins toujours vert,
Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges
Passent, comme un soupir étouffé de Weber ;

Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C'est pour les coeurs mortels un divin opium !

C'est un cri répété par mille sentinelles,
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;
C'est un phare allumé sur mille citadelles,
Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois !

Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité !

 

Charles Badelaire.

...mais il en parle également dans ses nombreuses critiques. Grâce à ses critiques, on peut voir que Baudelaire pouvait, comme le commun des mortels, ne pas aimer certaines oeuvres...

Baudelaire a horreur des “affèteries” de cette peinture qu’il juge trop distinguée, trop “finie”, dont l’héroine est toujours “diaphane et bégueule comme une élégie, et amaigrie par le thé et le beurre esthétique” (Salon de 1846). Au lieu d’imiter servilement les anciens, il faut des sujets modernes. 

Eugène-Emmanuel Amaury-Duval (1808-1885) : Annonciation

Baudelaire considère Gérôme comme le chef de “l’école des pointus” (Salon de 1859). Il “réchauffe les sujets par de petits ingrédients et par des expédients puérils”. De ce tableau il écrit : “l’idée d’un combat de coqs appelle naturellement le souvenir de Manille ou de l’Angleterre. M. Gérôme essayera de surprendre notre curiosité en transposant ce jeu dans une espèce de pastorale antique”. Bref, il juge que ce genre de peinture n’est que de la “cuisine”, et qu’en général ce n’est pas avec des “Cupidons de confiseurs” qu’on peut représenter l’amour. 

Gérôme Jean-Léon (1824-1904) :
Un combat de coqs

Baudelaire reconnaît des qualités à Théodore Rousseau mais trouve sa peinture en général trop agitée : “la silhouette générale des formes est souvent difficile à saisir (...) M.Rousseau m’a toujours ébloui ; mais il m’a quelquefois fatigué.” (Salon de 1859). La vérité est que le sujet ne l’intéresse pas. Si l’art ne se réduit pas, on l’a vu, à une virtuosité technique vide, il ne doit pas non plus se soumettre docilement à son sujet. Surtout quand ce sujet est la nature : elle ne vaut que transformée par l’homme. Un visage maquillé est plus beau qu’un visage nu ; Baudelaire aurait aimé repeindre les prairies en rouge et les arbres en bleu. 

Rousseau Théodore (1812-1867) :
Une avenue, forêt de l’Isle-Adam

Baudelaire le trouve très prétentieux. “Ses paysans sont des pédants qui ont d’eux-mêmes une trop haute opinion. Ils étalent une manière d’abrutissement sombre et fatal qui me donne envie de les haïr”. (Salon de 1859). 

Millet Jean-François (1814-1875):

 Les glaneuses

... ou au contraire en adorer, et admirer le travail de certains artistes. Manet et Delacroix sont des artistes qui on profondement marqué Baudelaire.

Delacroix Eugène (1798-1863) : Chasse aux lions 

Cette esquisse proche d’un grand tableau achevé par Delacroix, et détruit depuis, est frappante par la violence du mouvement et des couleurs, et par sa liberté résolument moderne. 

Baudelaire : “Une véritable explosion de couleurs (...) Jamais couleurs plus belles, plus intenses ne pénétrèrent jusqu’à l’âme par le canal des yeux” (Exposition universelle de 1855). Il adore ici la sauvagerie de la “peinture pure”, à l’opposé de la peinture “astiquée”, et conseille au spectateur de regarder les œuvres de Delacroix de très loin, avant d’approcher pour identifier le sujet. Baudelaire véritablement nourri de l’œuvre de Delacroix, s’identifie entièrement à cette “âme” si proche de la sienne : liberté de l’imagination en quête d’idéal, douleur rêveuse, intelligence prodigieuse des sujets, même historiques ou religieux. Delacroix est un inventeur servi par une technique éblouissante, qui fait de chaque tableau un véritable “drame”, celui chez qui “le beau est toujours bizarre” (Exposition universelle de 1855). 

Lola de Valence, Manet.

 Pour Baudelaire Manet représente la modernité. Il écrira un quatrain en l'honneur du tableau Lola de Valence, et écrira dans Le Peintre de la Vie Moderne: “Celui-là sera le peintre, le vrai peintre, qui saura arracher à la vie actuelle son côté épique, et nous faire voir et comprendre, avec de la couleur et du dessin, combien nous sommes grands et poétiques dans nos cravates et nos bottines vernies.” (1845). 

Lola de Valence

Entre tant de beautés que partout on peut voir,
Je comprends bien, amis, que le désir balance ;
Mais on voit scintiller en Lola de Valence
Le charme inattendu d'un bijou rose et noir.

 

Charles Baudelaire

Baudelaire entretient une relation particulière avec le monde l'art et le monde de l'art entretient une relation particulère avec Baudelaire. 

Baudelaire est le dernier personnage à droite. Courbet avait placé sa maîtresse Jeanne Duval à côté de lui ; Baudelaire lui a demandé de l’effacer. Il représente donc le poète, seul, absorbé dans sa lecture, complétement absent de la scène que contemplent d’autres personnages, celle du peintre au travail.

Courbet Gustave (1819-1877) : L’atelier du peintre. Allégorie réelle

 Ici Fantin-Latour représente une réunion d’artistes et d’écrivains en hommage au peintre, qui est mort assez isolé l’année précédente. Baudelaire en a conçu un véritable désespoir. Là encore il est isolé, à droite dans le tableau, sur une diagonale qui va de Delacroix à Manet et au poète : l’histoire de l’art et de la littérature nous permet de voir là, après coup, une filiation essentielle.​

Fantin-Latour Henri (1836-1904) : Hommage à Delacroix

 C'est à partir d’un vers de L’invitation au voyage, que Matisse peint l’île paradisiaque des rêves de Baudelaire et lui rend hommage. 

Matisse Henri 1869-1954) : Luxe, calme et volupté 

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